Tisser nos mémoires. Appel à témoins : Parlez-moi de votre grand-mère !
Nous sommes heureux de publier sur le blog Errances Narrartives cet article de Nathalie Bondetti.
Nathalie s’est formée à La Fabrique Narrative en 2022 et lance aujourd’hui un appel à témoignage touchant que vous trouverez en fin d’article.
Les grand-mères sont bien souvent des personnes inspirantes qui marquent nos vie. Ont les invite toujours avec bonheur dans nos conversations.
Personnellement, j’ai pensé à ma propre grand-mère Simone en lisant ces lignes, même si elle n’avait pas traversé les mers. Originaire d’un village du Jura, elle a grandi à Lyon et y est devenu vendeuse, a oeuvré pour la résistance alors qu’elle était encore une jeune fille.
Olivier.
Je fais partie de ces personnes qui nourrissent de grands espoirs. Mon accostage sur les rivages des îles narratives n’a donc rien de surprenant. En tant que praticienne, il me plaît de penser que chaque être peut s’aventurer dans des chemins de traverse, peu empruntés, et ainsi apprendre à cartographier des expériences oubliées. Participer à co-écrire des récits de vie alternatifs, c’est tellement puissant n’est-ce pas ?
Dans ce voyage de vie, on fait des rencontres. Certaines sont durables, d’autres se délitent avec le temps. On se surprend parfois à imaginer des liens improbables, surprenants, on en construit de nouveaux, on en met certains au compost. La véritable rencontre est par essence transformatrice : elle est une extraordinaire opportunité, une invitation à poser un regard bienveillant sur autrui et à convoquer notre intelligence.
Et puis, un beau jour, parfois sans crier gare, ces âmes s’envolent vers d’autres cieux. Dès lors, que faire des fruits de ces rencontres ? Sont-elles vouées à disparaître du paysage de nos relations avec la perte de cet Autre ? Une multitude d’émotions nous traversent, plus ou moins durablement. Indifférence, tristesse, colère, soulagement, abandon, désespoir…
Nous sommes loin des rituels de Bali, où le départ des défunts est fêté dans la joie ! Nous nous préparons à cet envol -ou pas. Alors vient le temps du questionnement : quelle fut la place de cette personne dans ma vie, quelle trace a-t-elle laissée ? Qu’est ce que ce lien dit de moi, de nous ? Cette histoire peut-elle raisonner auprès d’autres individus ? Si je devais donner une couleur à cette relation, quelle serait-elle ? Qu’est-ce qui me permettrait de la faire vivre autrement, à présent qu’elle n’est plus là ? De quoi cet héritage est-il le nom ? Qui suis-je ? Force est de constater que l’autre nous ramène à notre identité. Jusqu’à quel point suis-je fidèle à ce souvenir ? À cette relation ? Comment préserver l’élan de vie ?
Je fais partie de ces personnes qui attachent une inexorable attention aux liens tissés au sein de ma famille et plus globalement, au sein de la société. Certaines rencontres furtives avec des personnes étrangères resteront gravées dans ma mémoire. Je fais partie de ces personnes qui n’oublient pas leurs racines tant elles ont façonné mon identité. Des racines solides ne facilitent-elles pas notre capacité à créer du lien, tout en restant soi ? Elles participent à l'apprentissage du faire ensemble, à l’instar des arbres qui coopèrent discrètement sous les sols fertiles.
Connaître l’histoire de mes ancêtres a sécurisé mon parcours personnel et professionnel, sans pour autant m’enfermer dans une identité subie, avec le lot de préjugés tenaces parfois liés aux origines. Je navigue. Cette connaissance émancipatrice, je la dois à ma grand-mère venue d’ailleurs, pilier de mon paysage relationnel. Elle m’apparaît tel ce cyprès élancé au milieu des vallons de Toscane, digne, remarquable. Elle a les couleurs de la Méditerranée, l’odeur du romarin, la délicatesse et l’abondance du laurier rose. Son souvenir est aussi persistant que la ciste qui recouvre les sols chauds et arides de son île natale, la Sardaigne.
Le 9 décembre 2020, elle s’est éteinte.
Autrefois si présente, elle a soudain disparu.
Ainsi, le vide est apparu en moi.
Anéantie, j’ai pourtant conscience que seuls les mots peuvent me sauver.
Deux mois plus tard, je décidais que son décès ouvrirait une nouvelle voie, créative, thérapeutique, libératrice, moi qui ai grandi à ses côtés comme un pied de tomate s’émancipe au contact de son tuteur.
Elle était “nonna”, mais aussi une mère, une tante, une soeur, une femme inspirante. Elle était celle qui a nourri mes espoirs et m’a fait grandir. J’entends encore ses murmures à mon oreille, esquissant un sourire. Celle qui, du haut de ses quatorze ans, est arrivée pieds nus avec une valise en carton, quittant les paysages paradisiaques des côtes sardes en quête d’un nouvel eldorado, d’une terre d’accueil pleine de promesses.
Ah la France ! Avec sa mère et son frère, ils ont rejoint le père de famille engagé dans les mines de charbon de Saint-Etienne.
Fuir un pays gouverné par un dictateur, fuir le conflit, la famine ou la misère, c’est le propre de nombreux émigrés. Des entrailles de la terre, qu’ils ont éventrée sans relâche, tous ces hommes en ressortent de la même couleur, le visage noirci et les corps meurtris. Sur ces chemins, abandonnant leurs foyers, nombreux sont ceux qui perdront leur royaume, leurs re-pères. Tel est le prix à payer.
À l’issue de ce voyage, ils feront le choix, plus ou moins consenti, d’une vie nouvelle avec des femmes de leur communauté, des étrangères ou encore leur promise restée au pays.
À l’heure où la guerre sévit aux confins de l‘Europe, où le Moyen-Orient n’en finit pas de s’embraser, où l’Afrique et l’Amérique du Sud sont pillées de leurs ressources naturelles, à l’heure où l’on parle de confinement et de réfugiés climatiques, j’ai souhaité honorer la mémoire de ces femmes, de ces grand-mères venues d’ailleurs. Relier la mémoire de Elvira, mia nonna, à la plus Grande Histoire, celle de notre humanité.
C’est ainsi que le projet de bel ouvrage Mémoires Tissées est né. Ce livre a pour ambition d’honorer les parcours migratoires qui ont jalonné notre siècle. Il vise à mettre en lumière les liens intrafamiliaux, à poser un regard intimiste au travers de vingt témoignages illustrés de petits-enfants devenus adultes. Il est un pré-texte à une meilleure compréhension des trajectoires sociales issues de ces parcours de vie. Les décennies passent et les discriminations persistent dans une société française par essence plurielle, qui reproduit les inégalités de manière plus ou moins consciente ou assumée. Un ou des textes plus académiques, explicitant nos héritages collectifs et individuels, seront ainsi produits dans une deuxième partie plus réflexive, en écho aux témoignages.
Cet ouvrage, à paraître fin 2024 a donc pour objectif de mettre en lumière la nécessaire construction et promotion d’une société riche de ses diversités :
Honorer la place et le rôle des femmes migrantes
Valoriser la puissance des liens intergénérationnels et interculturels, comme de potentielles ressources
Mettre en lumière le pouvoir des récits dans la construction identitaire individuelle et collective
Considérer la mémoire des peuples et la place de chaque être au sein de communautés en situation de vulnérabilité
Faire advenir des narratifs émancipateurs pour le bien commun
Après avoir recueilli seize témoignages, et pour mener à bien le projet, je recherche quatre témoins de personnes de plus de dix-huit ans.
L’appel est lancé ! - Clôture le 10 juin 2024
Originaire d’Amérique Latine, Arménie, Turquie, Europe du Nord, Afrique de l’Est, votre grand-mère a émigré en France après avoir connu la guerre, la colonisation, la famine ou pour toute autre raison. Et elle y est restée au moins quinze ans. Elle est vivante ou partie et a laissé une trace singulière en vous.
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nathalie@transitions-narratives.fr
Mots clés : interculturalité, mémoire, bel ouvrage, société, diversité et inclusion, approche narrative, systémie, témoignages, intergénérationnel
Genre et registre : sciences humaines et sociales (art, histoire, sociologie, psychologie)