Quand le corps raconte... notre identité respire

Par Laure Maurin, thérapeute narrative et professeure de yoga

Suite à ses ateliers des JNF et sa conférence du 25 février, Laure détaille ici sa méthode d'interview narrative du corps. Pour vous inscrire à son atelier de professionnalisation d'octobre, voir à la fin de l'article. 

"Le mental intuitif est un don sacré, et le mental rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don."Albert Einstein

J'ai souvent tenté dans ma pratique d’accompagnement, bien avant de découvrir les idées narratives, de ramener les gens dans leur corps. j’ai animé un atelier sur le souffle en Hôpital de jour auprès d’enfants atteints d’autisme ou de psychose. Un atelier éveil des sens auprès d’adultes poly- handicapés. J’interviens encore aujourd’hui dans un foyer occupationnel auprès d’adultes dits "malades mentaux stabilisés".

Mais les pratiques narratives m’ont permis de réarticuler le corps, le récit et l’intuition. C’est cette articulation qui permet tant de passerelles fécondes que j’ai développée au cours de ma conférence du 25 février ainsi que de mon atelier des JNF 2018 de Bordeaux. C’est également l’objet de cet article d’en donner un bref aperçu.

Pourquoi questionner le corps ? Quel bénéfice avons-nous à venir se mettre à l'écoute de nos émotions et nos ressentis ?

Comment les émotions nous traversent-elles ? Quel impact ont-elles sur notre corps ? Voilà quelques unes des questions qui traversent l’application des pratiques narratives au travail avec le corps et notamment à la lecture d’une façon spécifique qu’a le corps de réinterpréter les histoires, de leur donner une traduction narrative biophysique.

Cette préoccupation ne date pas d’hier, ni même de la focalisation de la tradition occidentale individualiste et religieuse sur le cerveau, siège des fonctions élevées de la pensée. Dans les yoga Sutra de Patanjali il est dit que les souffrances viennent de L’égo, de notre mental. La philosophie du yoga considère que nous sommes constitués de trois enveloppes que nous appelons les koschas : le corps physique , le corps de l'énergie et des émotions et le corps du mental .

Pour la médecine traditionnelle chinoise les émotions sont des énergies qui nous traversent. Tout est passerelle, tout est relié... sauf pour la culture occidentale qui a tout dissocié !

La pratique de la respiration consciente ainsi que de la méditation permettent de retrouver des liens en accueillant ses ressentis et en étant à l'écoute de notre  intimité.

Cela demande un travail à la fois de concentration et de lâcher prise. Ce mouvement de dissociation- réassociation avec le corps est également à la base de l’hypnose Ericksonnienne. Mon expérience d'enseignante de yoga depuis plus de 20 ans à trouvé dans la pratique des idées narratives, auxquelles je me suis formée à la Fabrique Narrative, Un prolongement naturel ; en effet, les pratiques Narratives comme le yoga sont une manière d'être au monde d'être à soi-même.

Une notion qui a peut-être été un peu oubliée depuis la mort de Michael White est que les dimensions corporelle et émotionnelle sont au centre des conversations narratives. Et en premier lieu parce que la nature de l’expérience, avant même d’être projetée sur le paysage de l’action sous forme de récits intentionnellement signifiants, est sensorielle. Nos sens nous informent en permanence sur ce que nous vivons. Ils nous renseignent sur l'environnement dans lequel nous sommes mais ils nous renseignent également sur ce que nous ressentons. Pour la psychanalyse et notamment pour Jung, ces informations et ces ressentis corporels sont reliés directement à notre inconscient . Pour l’approche narrative, on pourrait parler « d’inconscient narratif corporel», c’est à dire d’archipels d’expériences engrammées dans notre corps mais non histoirisées, non choisies pour figurer dans une structure de sens orientée dans le temps.

C.G. Jung définit la personne intuitive comme quelqu’un capable d’anticiper certaines situations ou évènements en utilisant son propre matériel inconscient. Il considère l'intuition, comme une fonction de compréhension spontanée, non réfléchie, venue par la voie de l’inconscient. Pour prolonger cette vision à la lumière des idées narratives, on pourrait considérer le corps comme un réservoir de récits qui ne demandent qu’à se raconter à travers lui, et à nous renseigner sur des dimensions de notre identité inaccessibles à notre mental parasité en permanence par les discours dominants sociaux.

Partant de l'idée que notre corps est relié à ce réservoir de possibilités identitaires inconscientes, je propose des conversations qui permettent au corps de s'exprimer en interrogeant ce mental intuitif celui qui sait , en faisant faire silence à notre mental rationnel celui qui raisonne et analyse.

Voici comment je procède. Tout d’abord je prends le temps de réinstaller la personne dans son corps, dans sa respiration, dans le silence. Je lui demande de prendre conscience du souffle dans ses narines, d’observer comment elle a posé ses pieds dans le sol , puis de se mettre à l’écoute de sa respiration, d’accueillir son souffle et de respirer une dizaine de fois en conscience.

Toujours concentré sur le souffle, déplacer sa conscience dans différents endroits du corps, les pieds, la tête, les genoux... Lorsque la personne est prête, c’est à dire semble à l’aise dans ce déplacement du regard intérieur, de la conscience. je lui propose de s’installer dans la partie du corps qu’elle a choisie.

Je laisse quelques respirations se faire avant de poser ma première question.

Tout ce préambule est important pour installer une réceptivité, un recentrage, une autre écoute de soi. Les conversations narratives sont des respirations, elles ouvrent des espaces.

Voici quelques exemples de questions :

- Bonjour vous êtes le dos de François ? Je vous remercie d’accepter de répondre à quelques questions.

- Qu’est ce que cela vous fait d’avoir été choisi pour vous exprimer ?

- Pouvez vous me raconter le souvenir d’une sensation agréable pour vous ?

L’intention de cette question est de laisser la personne cheminer dans son souvenir, en interrogeant le ressenti corporel. On peut spécifier les sensations, en veillant bien à ne pas retourner dans le mental :

- c’était plutôt comment , chaud /froid, Sombre/lumineux, doux/dur, laissez vous guider . Est-ce qu’une image vous vient pour exprimer cette sensation ?

- De quoi avez vous besoin ?

- Comment cela sera pour vous, lorsque vous aurez ce dont vous avez besoin ?

Cette question permet d’exprimer ses rêves, ses espoirs , de visualiser une sensation agréable mais toujours de façon “corporalisée”, sans faire appel aux catégories du mental influencées par les discours dominants sur le corps.

Il est également possible de remembrer (au sens propre, du coup !) des parties du corps avec d’autres, en passant par la passerelle des questions narratives :

- Quelle autre partie du corps de François, ne serait pas étonnée de vous entendre dire cela ?

On peut également proposer au corps de délivrer des messages verbalisés à l’attention du mental. Dans ces questions, mon intention est d’installer une certaine solennité, c’est une déclaration faite à soi-même, les réponses sont souvent pleines d’amour et de bienveillance :

- Avez vous quelque chose à dire dont vous voudriez que François se souvienne ?

Lorsque je termine la conversation avec le dos de François, je remercie (toujours) et je reviens vers François pour lui poser une dernière question. Je laisse quelques respirations se faire. je propose à François de s’étirer de se ré-installer :

- Qu’avez vous entendu dans cette conversation qui fera que demain sera différent pour vous ?

J’interroge François comme témoin extérieur : qu’a t-il entendu d’important pour lui , qu’est ce qui a résonné ?, qu’est ce qui a été dit qui n’avait jamais été exprimé à haute voix ? etc.

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